Par une journée chaude du mois de juin dernier, alors que je déambulais dans le Musée d’art contemporain de Montréal et profitais de la fraîcheur des planchers de marbre et de ciment, j’ai été profondément touchée par une puissante exposition de l’artiste anishinaabe Rebecca Belmore intitulée Braver le monumental. Cette collection diversifiée de sculptures, d’installations, de photos et de vidéos, prêtée par le Musée des beaux-arts de l’Ontario, présentait la vision artistique de Mme Belmore jusqu’à maintenant.
Une vidéo en particulier, Vigil (Paul Wong, 2010), m’a vivement ébranlée, littéralement et au sens figuré. Il s’agit d’un spectacle artistique de Mme Belmore commémorant la vie des femmes autochtones disparues et assassinées qui avaient vécu dans les rues de Vancouver. On y voit Rebecca Belmore pieds nus, portant une robe longue écarlate et nettoyant le pavé avec une brosse dans l’infâme quartier Downtown Eastside.
Face à cette évocation tourmentée des traumatismes, je me suis mise à penser à un récent symposium auquel j’ai participé à Vancouver dans le cadre de la conférence internationale du Council on Licensure, Enforcement & Regulation (CLEAR). Cet événement se déroulait sous le thème de « La sensibilisation culturelle : prendre en compte les populations autochtones et minoritaires dans la réglementation des professions ». Les responsables de la réglementation ont été mis au défi de répondre à une question succincte ayant des implications monumentales : comment la réconciliation s’applique-t-elle à la réglementation des professions?
La réglementation a une raison d’être fondamentale : protéger l’intérêt public. L’Ordre des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social de l’Ontario a certes pour mandat de protéger le public. Cependant, à mesure que les attentes sociétales changent, les organismes de réglementation interprètent leur mandat en termes plus généraux. Le symposium CLEAR a donné aux organismes de réglementation du monde entier l’occasion de discuter du sens de la réconciliation dans le contexte de la réglementation et de voir comment aller au-delà de leur engagement à être sensibles pour évoluer vers l’humilité et la sécurité culturelles. Cette évolution peut se manifester, par exemple, par une analyse et une reconnaissance des déséquilibres de pouvoir et par une réflexion sur les idéaux de l’autodétermination et de la décolonisation.
La progression de la connaissance et de la sensibilité vers l’analyse et l’action étaient au cœur même du discours-programme de la Journée de l’assemblée annuelle et de la formation (JAAF) 2019 de l’Ordre, intitulé « Pourquoi, en matière de réconciliation, l’action compte. » Le conférencier principal, Jeffrey Ansloos, a exploré comment l’Ordre peut mettre en application les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Comme il l’a souligné, les appels à l’action de la Commission sont pertinents pour l’Ordre puisque, dans leur profession, les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social touchent à un très grand nombre des domaines visés par les appels à l’action, notamment le bien-être de l’enfance.
J’encourage tous les membres de l’Ordre à regarder le discours prononcé par M. Ansloos lors de la JAAF – vous trouverez une version révisée du discours en direct sur le site Web de l’Ordre et sur notre chaîne You Tube (en anglais). Jeffrey Ansloos a lancé son propre appel à l’action et encouragé vivement les membres de l’Ordre à lire le sommaire du rapport de la Commission de vérité et réconciliation, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Nous nous préparons maintenant à entamer des discussions cet hiver sur les priorités stratégiques de l’Ordre pour 2020-2023. Il est inspirant de voir comment la réconciliation commence à éclairer la planification stratégique d’autres organismes de réglementation du Canada et comment le discours-programme de la JAAF a ouvert un dialogue et créé un désir d’avancer parmi les membres de notre propre Conseil. Je crois que les organismes de réglementation s’entendent pour dire qu’ils accusent un certain retard sur le reste du Canada sur la question de la réconciliation.
Par le passé, les organismes de réglementation ont eu du mal à intégrer la réconciliation dans le cadre de leur mandat et dans les lois régissant leurs activités. Certains d’entre eux ont probablement cru que la réconciliation dépassait la portée immédiate de leur mandat. Après les travaux de la Commission de vérité et réconciliation, il est toutefois clair que le moment est venu d’examiner nos pratiques réglementaires.
Cela dit, il incombe à chacun de nous, dans la communauté réglementaire, d’éviter d’imposer nos propres cadres et de commencer plutôt à écouter véritablement les expériences, les idées et les besoins des peuples et des communautés autochtones. La Commission de vérité et réconciliation a été créée pour promouvoir la vérité, la guérison et la réconciliation et, comme elle l’a souligné, la réconciliation est un processus continu, aussi bien individuel que collectif.
Nous, les travailleurs sociaux et techniciens en travail social, savons que les rapports officiels sont importants pour nous aider à comprendre et analyser les questions professionnelles. La pratique de l’humilité culturelle nous apprend aussi que la connexion humaine issue de l’écoute et de l’observation peut nous éclairer et renforcer notre implication.
Rebecca Belmore a affirmé qu’il nous faut résoudre la violence perpétuellement faite aux peuples autochtones. Son art a pour but de provoquer une réaction, de nous émouvoir et de créer des espaces dans lesquels toucher le public. L’exposition m’a certainement aidée à réfléchir à la réglementation et la réconciliation et à vouloir braver le monumental dans mes fonctions de registrateure et de chef de la direction de l’Ordre.
Lise Betteridge, MTS, TSI
Registrateure et chef de la direction