La rubrique Notes sur la pratique se veut être un outil éducatif pour aider les travailleuses et travailleurs sociaux, les techniciennes et techniciens en travail social, les employeurs et les membres du public de l’Ontario à mieux comprendre les questions fréquentes que traitent le Service de la pratique professionnelle et le comité des plaintes de l’Ordre, et qui pourraient toucher la pratique quotidienne des membres. Les Notes offrent une orientation générale uniquement, et les membres qui ont des questions particulières sur la pratique doivent consulter l’Ordre, puisque les normes pertinentes et le plan d’action approprié varient suivant la situation donnée.
Le Service de la pratique professionnelle répond tous les jours à des questions que lui adressent des membres au sujet de situations qu’ils rencontrent dans leur travail. Les membres consultent souvent l’Ordre quand ils se trouvent confrontés à des scénarios de pratique difficiles ou à des dilemmes éthiques. Scénarios difficiles, dilemmes éthiques… ces deux expressions sont parfois utilisées de manière interchangeable, il y a pourtant une différence. Un scénario de pratique difficile peut susciter des sentiments inconfortables chez le praticien, mais dans ce cas il y a un plan d’action et un seul que le membre doit adopter. Par exemple, si dans son travail, une travailleuse sociale a des motifs raisonnables de croire qu’un autre membre commet une inconduite sexuelle à l’égard d’un client, elle a l’obligation de signaler la situation à l’Ordre.
Un dilemme éthique, par contre, représente une situation où le membre peut choisir différents plans d’action; la solution n’est donc pas évidente. Dans un tel cas, une travailleuse sociale ou un technicien en travail social tente de déterminer le meilleur plan d’action à adopter ou réfléchit sur ce qu’il ou elle « devrait » faire. Ces situations peuvent mettre le membre mal à l’aise et peuvent heurter ses croyances et valeurs personnelles.
Lors de consultations auprès du Service de la pratique professionnelle, le personnel dit et redit toujours que les membres « doivent appliquer leur jugement professionnel ». C’est là une tâche qui peut paraître déroutante, et même nébuleuse pour des membres, en particulier quand ceux-ci font face à une situation où l’issue n’est pas claire. L’Ordre a déjà créé à cet égard des Notes sur la pratique pour expliquer comment mettre en pratique son jugement professionnel. Il est crucial, en présence d’un dilemme éthique, d’exercer son jugement professionnel et de suivre un processus de décision logiquement solide.
En vue de mieux aider les membres à appliquer leur jugement professionnel, l’Ordre a développé ETHICS (ÉTHIQUE)→A : Outil de prise de décision éthique. Une recherche rapide dans Internet fournit de nombreux cadres et outils de prise de décision éthique. Toutefois, l’Ordre tenait à créer un outil propre au contexte ontarien du travail social et des techniques de travail social, qui s’appuie aussi sur le Code de déontologie et les Normes d’exercice.
Suite à une revue d’ouvrages universitaires, le Service de la pratique professionnelle a repéré un modèle de prise de décision mis au point par une professeure de travail social, que nombre de praticiens, d’enseignants et d’étudiants pourraient utiliser. L’« ETHIC Model of Decision-Making »[1] d’Elaine Congress, de l’Université Fordham (New York), fait du code de déontologie une pièce maîtresse du processus de décision éthique. Par la suite, des professeures de travail social de l’Université Viterbo (Wisconsin)[2] – Connie Fossen, Jennifer Anderson-Meger et Debra Daehn-Zellmer – ont adopté cette approche, désignant le modèle sous le nom ETHICS→A.
Les professeures de l’Université Viterbo ont enseigné leur modèle de prise de décision éthique à des centaines de travailleurs sociaux, et ont aussi formé le personnel de notre Service de la pratique professionnelle. C’est ainsi que le modèle ETHICS (ÉTHIQUE)→A a pris forme, adapté au contexte du travail social propre à l’Ontario. Une vidéo montrant différents moyens d’utiliser l’outil ETHICS (ÉTHIQUE)→A est disponible sur le site Web de l’Ordre.
L’utilisation de cet outil n’est pas obligatoire. Il vise à aider les membres à s’orienter à travers des dilemmes éthiques en leur offrant des étapes et un processus à suivre. Une situation est donnée en exemple ci-dessous pour montrer comment on peut utiliser l’outil. Les précisions données ici varieront selon le membre et le contexte particulier de la situation. Dans leur pratique, les membres peuvent aussi utiliser le formulaire ETHICS (ÉTHIQUE)→A prévu pour documenter leur processus de décision.
Exemple
En raison de problèmes qu’il rencontre à la maison, un jeune homme demande des services d’aide auprès d’une travailleuse sociale affectée à l’école qu’il fréquente. Nouvellement arrivé au Canada, l’élève se débat avec son identité de genre, qui va à l’encontre des croyances exprimées de sa famille. Face à la honte, à la peur et au rejet qu’il ressent, le jeune homme commence à s’isoler socialement, à manquer souvent l’école, et prend des substances pour engourdir ses sentiments. Craignant des représailles, le jeune veut s’assurer que la travailleuse sociale traitera sa lutte personnelle en toute confidentialité et qu’elle n’en communiquera rien aux parents.
La travailleuse sociale ne sait pas trop par où commencer. Elle se tourne vers l’outil d’aide ETHICS (ÉTHIQUE)→A et se met à réfléchir sur le processus de prise de décision.
Examiner les faits et les valeurs
Tirer parti des Normes d’exercice, des lois et des politiques qui s’appliquent à la situation
Hypothèses : Émettre des hypothèses sur les décisions et solutions possibles
Identifier les conséquences de chaque action
Consulter d’autres intervenants au sujet des options possibles
Sélectionner une action et obtenir du soutien →
Agent : Se faire l’agent du changement, au besoin
Examiner
- Examinez les faits. Recueillez toute l’information ou les preuves qui existent. Y a-t-il des désaccords sur les faits?
- Le client est un jeune et un nouvel immigrant
- L’enjeu : l’identité du genre
- Usage de substances
- Isolement social
- Absentéisme à l’école
- Examinez s’il y a en fait dilemme éthique
- Il y a des normes d’exercice, des politiques et des lois qui s’appliquent à la situation
- Tentez de déterminer ce qui « devrait » être fait
- Valeurs et croyances peuvent être en conflit
- Il peut s’agir d’un dilemme éthique
- Examinez les valeurs en lien avec la situation. Quelles sont les valeurs du client, de la société, de l’organisme pour lequel vous travaillez? Quelles sont vos valeurs personnelles et professionnelles?
- Valeurs du client
- Valeurs de la famille
- Valeurs de la société
- Valeurs du conseil scolaire
- Vos valeurs personnelles[3]
Tirer parti du Code de déontologie
- En quoi le Code de déontologie et les Normes d’exercice s’appliquent à cette situation?
- Principe I : Relations avec les clients – Interprétations :
- 1.1, 1.1.1, 1.2, 1.3, 1.4, 1.5, 1.6, 1.7
- Principe II : Compétence et intégrité – Interprétation :
- 2.1.3
- Principe III : Responsabilité envers les clients – Interprétations :
- 3.1, 3.4, 3.5, 3.6, 3.11
- Principe V : Confidentialité – Interprétations :
- 5.1, 5.4
- Principe I : Relations avec les clients – Interprétations :
- Quelles lois s’appliquent à votre milieu de travail? Des lois s’appliquent-elles aussi à cette situation?
- Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille
- Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé
- Loi sur l’éducation, LRO 1990
- Obtenez un avis juridique de manière à déterminer s’il existe d’autres lois pertinentes qui pourraient s’appliquer à ce scénario
- Y a-t-il des politiques ou des pratiques propres à votre milieu de travail qui s’appliquent à cette situation?
- Un élève doit avoir le consentement des parents pour obtenir des services auprès d’un professionnel du travail social opérant en milieu scolaire
- Les responsabilités et obligations des conseillers en assiduité scolaire sont énoncées dans des lois
- Le mandat du conseil scolaire est de travailler en collaboration avec les parents
Hypothèses – Envisager, à titre d’hypothèses, les options possibles
Ne portez pas de jugement sur les options et ne cherchez pas les meilleures options.
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- Tenir / Ne pas tenir l’information confidentielle
- Ne pas travailler avec le client : le réacheminer vers des ressources communautaires
- Travailler avec le client en impliquant les parents
- Travailler avec le client sans impliquer les parents, et établir par contrat les limites de la confidentialité
- Établir par contrat les questions ou problèmes dans lesquels les parents interviendront / n’interviendront pas.
Identifier les conséquences
Réfléchissez aux risques et aux avantages inhérents à chaque option.
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- Risque de ne pas respecter la politique du conseil scolaire
- Risque que court le client si vous ne lui fournissez pas de services
- Le client pourrait ne pas avoir accès à des services s’il est réacheminé vers des ressources communautaires
- Le droit à la confidentialité du client pourrait être compromis si on le voit recevoir des services communautaires
Consulter d’autres intervenants
Vous pouvez consulter des collègues, un superviseur, une directrice, un éthicien, un responsable de la protection de la vie privée; obtenir un avis juridique; ou contacter le Service de la pratique professionnelle.
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- S’adresser à une autorité en matière de pratique professionnelle; à un fournisseur d’assurance responsabilité civile; ou encore à l’Ordre
- Consulter en tout anonymat des ressources communautaires
- Consulter différents organismes de la collectivité, par exemple, des membres de la communauté culturelle de l’étudiant ou de la communauté LGBTQ+.
Sélectionner une action et obtenir du soutien
Il est important de tout documenter pour bien montrer le processus de prise de décision que vous avez suivi.
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- Établir un contrat qui énonce en toute transparence la nature, l’étendue et les limites des services qui sont à la disposition du client, et les limites de la confidentialité offerte[4]
- Identifier l’organisme, le groupe qui sera à même de soutenir le client selon ses besoins
- Voir si vous-même aurez besoin de soutien. Si oui, à qui vous adresser?
- Reconnaître qu’au cours du processus, la famille pourrait avoir besoin de soutien. Chercher auprès de qui celle-ci pourrait obtenir du soutien.
Agent – Se faire l’agent du changement
Pour faire avancer une cause, il faut user de son jugement professionnel. Cela peut consister à documenter les préoccupations et à en discuter avec une superviseure.
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- Proposer à la direction du conseil scolaire de réviser la politique du conseil, si nécessaire
- Recueillir des preuves et présenter à la direction une option visant à autoriser des services d’aiguillage d’urgence auprès de travailleurs sociaux ou de techniciens en travail social sans le consentement ou la collaboration des parents.
Le Principe II : Compétence et intégrité des Normes d’exercice prévoit que « s’il existe un conflit entre les normes d’exercice de l’Ordre et celles du milieu de travail d’un membre de l’Ordre, celui-ci se doit de se conformer aux [Normes d’exercice] »[5]. Si un membre trouve qu’une situation se présente dans le milieu de travail où il juge qu’il existe un conflit, il doit bien peser le pour et le contre de ses options. La personne se doit de « [faire] appel à [son] jugement professionnel pour déterminer la manière dont [elle interviendra] dans la défense de causes. Ce mode d’intervention peut consister à documenter les préoccupations et à en discuter avec les personnes chargées de la supervision ou de la direction, ou d’autres personnes clés au sein de l’organisme »[6]
Conclusion
User de son jugement professionnel face à un dilemme éthique est une tâche complexe. Souvent, on ne sait pas trop par où commencer, ou comment discerner les nombreuses composantes d’un scénario. Il est donc impératif, dans les situations où il n’y a pas de réponse bien définie, de documenter le processus de prise de décision que l’on suit. L’outil ETHICS (ÉTHIQUE)→A peut être pour les membres une ressource précieuse – à la fois pour dénouer des dilemmes éthiques et pour documenter leur processus de prise de décision et démontrer comment ils ont choisi leur intervention finale.