La rubrique Notes sur la pratique est un outil éducatif pour aider les travailleuses et les travailleurs sociaux, les techniciennes et les techniciens en travail social, les employeurs et les membres du public de l’Ontario à mieux comprendre les questions fréquentes que traitent le Service de la pratique professionnelle et le comité des plaintes de l’Ordre, et qui pourraient toucher la pratique quotidienne des membres. Les notes offrent des directives générales uniquement, et les membres qui ont qui ont des questions particulières sur la pratique devraient consulter l’Ordre, car les normes pertinentes et le plan d’action approprié varient suivant la situation.
Les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social jouent un rôle essentiel dans le soutien aux clients aux prises avec des troubles de santé mentale et de toxicomanie. Les membres de l’Ordre doivent posséder un large éventail de connaissances et de compétences lorsqu’ils travaillent avec ces clients dont les besoins peuvent être complexes. Les membres peuvent servir des clients qui ont des antécédents de traumatisme, qui sont sans abri ou qui sont impliqués dans le système de justice pénale, entre autres défis.
De plus en plus, la crise des opioïdes et le risque de mort par surdose ont imprégné tous les niveaux de la société et ont donc orienté les politiques publiques de plusieurs manières. Lorsqu’ils travaillent avec des clients, les membres de l’Ordre doivent être conscients du risque grave et important de surdose. Ce risque est présent avec n’importe quel groupe de clients; cependant, les membres qui travaillent dans le secteur de la santé mentale et de la toxicomanie peuvent s’attendre à un moment donné à rencontrer des clients qui font une surdose.
En octobre 2016, en réponse à la crise des opioïdes, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée a élargi l’accès à la naloxone en permettant aux utilisateurs d’opioïdes, à leurs amis et aux membres de leur famille de se procurer de la naloxone sans ordonnance dans les pharmacies et les bureaux de santé publique. La naloxone (également connue sous son appellation commerciale Narcan) est un médicament utilisé pour traiter les effets d’une surdose d’opioïdes et peut être administrée par pulvérisation intranasale ou par injection intramusculaire.
Actes autorisés
L’administration de substances par voie d’injection ou d’inhalation est un « acte autorisé » au sens de la Loi de 1991 sur les professions de la santé réglementées (LPSR). Les membres de l’ordre n’ont pas le pouvoir d’exécuter cet acte autorisé en vertu de la LPSR. De plus, la formation des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social n’inclut généralement pas la pharmacologie et les autres domaines d’études nécessaires pour effectuer cet acte autorisé en toute sécurité.
Les membres qui travaillent dans les milieux de la santé mentale et de la toxicomanie peuvent avoir des compétences dans certaines pratiques de médication, comme la livraison ou la fourniture de médicaments aux clients le moment voulu, mais l’administration d’une substance à des clients par injection ou par inhalation ne serait généralement pas considérée comme un acte que les membres peuvent faire.[1]
Seuls les professionnels de la santé réglementés autorisés par la loi sur la profession de la santé dont ils relèvent à accomplir l’acte autorisé (par exemple un médecin, une infirmière, une pharmacienne) ont le pouvoir d’accomplir cet acte autorisé. Un autre professionnel de la santé réglementé ou une autre personne est autorisé à exécuter l’acte s’il en a reçu la délégation par un membre d’un ordre professionnel qui en a le pouvoir en vertu de la loi sur la profession de la santé dont il relève.
La LPSR prévoit également certaines exceptions aux restrictions concernant l’exécution d’un acte autorisé, notamment si l’acte autorisé est accompli dans le cadre de l’administration des premiers soins ou d’une aide temporaire en situation d’urgence.
Délégation d’actes autorisés
La délégation est un processus formel par lequel un membre d’une profession de la santé réglementée qui a le pouvoir d’exécuter un acte autorisé en vertu de la loi qui régit sa profession transfère ce pouvoir à une autre personne qui n’aurait pas autrement ce pouvoir. Une délégation peut être conférée ou établie par une ordonnance directe ou par une directive médicale.[2] Une ordonnance directe concerne un client particulier, alors qu’une directive médicale est donnée à l’avance et permet à une personne d’effectuer une procédure pour un certain nombre de clients lorsque des conditions spécifiques sont remplies et dans des circonstances établies d’avance.[3]
Un certain nombre de facteurs doivent être pris considération pour évaluer le bien-fondé de la délégation d’une procédure d’acte autorisé.[4] Avant de procéder à une délégation, il est essentiel de s’assurer que la personne à laquelle cette délégation est faite est compétente pour exécuter la procédure en question.[5]
Les Lignes directrices de la pratique concernant l’administration des médicaments de l’Ordre stipulent :
Sauf en ce qui concerne l’acte autorisé relatif à la psychothérapie, les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social ne sont pas, à l’heure actuelle, autorisés à exécuter des actes autorisés et ne peuvent exécuter aucun autre acte autorisé sauf si l’exécution de l’acte autorisé a été déléguée au travailleur social ou au technicien en travail social par un membre d’un Ordre d’une profession de la santé réglementée lorsque la Loi sur la profession de la santé autorise les membres d’une telle profession à exécuter l’acte autorisé. En règle générale, l’Ordre estime qu’il n’est pas approprié que ses membres acceptent la délégation de l’acte autorisé de dispenser un médicament ou d’administrer une substance (y compris un médicament) par injection ou inhalation.[6]
Comme mentionné ci-dessus, les membres de l’Ordre n’ont pas le pouvoir d’exécuter l’acte autorisé d’administrer une substance par inhalation ou injection. En vertu de la LPSR, un acte autorisé ne peut être délégué que par un professionnel de la santé lui-même autorisé à effectuer cet acte en vertu de la loi sur la profession de la santé dont il relève. En vertu de la LPSR, il est possible d’exécuter un acte autorisé dans le cadre de l’administration de premiers soins ou d’une aide temporaire en situation d’urgence.
En ce qui concerne l’administration de naloxone, qui se fait par injection intramusculaire ou par pulvérisation intranasale, les membres de l’Ordre doivent prendre en considération un certain nombre de questions :
- Le but de l’administration de naloxone est de prévenir les décès par surdose. Cependant, suivant son environnement de pratique (clientèle desservie, types de services fournis, risques d’événements imprévisibles, etc.), un membre peut être appelé à administrer de la naloxone dans le cadre de son rôle dans ce milieu de travail (par exemple, un site d’injection supervisé). Dans de telles situations, la question peut se poser de savoir si l’intervention face à un événement fréquent ou prévu correspond à l’exception d’urgence prévue par la LPSR. Quelles mesures un membre peut-il prendre pour atténuer ce risque?
- Quelles mesures un membre peut-il prendre pour s’assurer qu’une délégation est en place?
- Lorsqu’une délégation est en place, comment un membre s’assure-t-il d’avoir la compétence requise pour administrer la naloxone de manière sûre et efficace et pour en gérer les résultats?
- Si un membre se retrouve dans des circonstances où un client ou une autre personne souffre d’une surdose d’opioïdes et qu’il n’y a pas de délégation en place, que peut faire le membre pour s’assurer d’avoir la compétence nécessaire pour administrer la naloxone de manière sûre et efficace?
Considérons les scénarios suivants :
Scénario 1
Une membre travaille dans un refuge pour sans-abri. Beaucoup de clients consomment des substances et même s’il leur est interdit d’en consommer dans le refuge, certains le font néanmoins à l’occasion. Plusieurs clients ont fait une surdose dans le refuge ou à proximité, et une délégation officielle a été mise en place pour que le personnel administre de la naloxone par injection ou par voie nasale. Le processus de délégation décrit la formation à laquelle tout le personnel devrait participer, ainsi que toutes les étapes à suivre pendant et après une surdose. La membre de l’Ordre a appelé le Service de la pratique professionnelle pour savoir si les normes de pratique lui permettent d’administrer la naloxone lorsqu’une délégation officielle est en place.
Scénario 2
Un membre travaille dans une équipe de santé mentale communautaire. Dans le cadre de son rôle, il se rend au domicile des clients. Le rôle du membre comporte de nombreux aspects, notamment la livraison de médicaments aux clients et leur soutien dans leur fonctionnement psychosocial. L’organisme dont le membre de l’Ordre fait partie a déterminé qu’il est fort probable que les membres de l’équipe de santé mentale communautaire rencontrent des clients qui ont une surdose, car ils visitent des clients à domicile et sont une présence régulière dans la communauté. L’organisme a offert une formation d’une journée et distribué des kits Narcan à tout le personnel. Il n’y a pas de délégation officielle ni de formation continue en place pour l’administration de naloxone. Le membre de l’Ordre a appelé le Service de la pratique professionnelle, car il ne se sent pas compétent pour administrer la naloxone, que ce soit par injection ou par voie nasale. Le membre ne sait pas trop comment procéder.
Dans les deux scénarios, on s’attend à ce qu’en raison de leur pratique et de leur rôle, les membres se trouveront en présence de clients qui font une surdose et à qui ils devront administrer de la naloxone. Il est possible que l’exception de la LPSR relative à l’exécution d’actes autorisés dans des situations d’urgence ne s’applique pas, auquel cas une délégation par un professionnel de la santé réglementé autorisé à effectuer l’acte en question devrait être en place afin que les membres puissent administrer la naloxone. Les circonstances soulignent le besoin que « les membres de l’Ordre se tiennent informés des politiques, lois, programmes et questions ayant un rapport avec la communauté, ses institutions et services dans leurs domaines d’exercice. »[7] (surlignage ajouté).
Dans le deuxième scénario, sans délégation officielle en place, le membre peut se trouver en conflit avec les normes de pratique. Les normes de pratique stipulent que « les membres de l’Ordre sont conscients de l’étendue et des paramètres de leur compétence et du champ d’application de leur profession et limitent leur exercice en conséquence. »[8] Elles stipulent aussi qu’« un employeur peut exiger qu’un travailleur social ou un technicien en travail social accomplisse des activités qui ne sont pas décrites dans leur champ d’application à condition que le membre de l’Ordre soit autorisé par la loi à accomplir ces activités et qu’il possède les compétences pour le faire. (soulignage ajouté).[9]
Le normes de pratique précisent en outre que « s’il existe un conflit entre les normes d’exercice de l’Ordre et celles du milieu de travail d’un membre de l’Ordre, celui-ci se doit de se conformer au Code de déontologie de l’Ordre des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social de l’Ontario et au Manuel des normes d’exercice » [10]. Les membres doivent « défendre des conditions et politiques relatives au lieu de travail qui sont conformes au Code de déontologie et Normes d’exercice de l’Ordre des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social de l’Ontario. Les travailleurs sociaux et techniciens en travail social feront appel à leur jugement professionnel pour déterminer la manière dont ils interviennent dans la défense de causes. Ce mode d’intervention peut consister à documenter les préoccupations et à en discuter avec les personnes chargées de la supervision ou de la direction, ou d’autres personnes clés au sein de l’organisme. »[11]
Si, dans le deuxième scénario, le membre déterminait qu’il ne devrait pas administrer de naloxone sur son lieu de travail puisqu’il n’a pas délégation officielle pour le faire, il devrait prévoir à l’avance comment obtenir l’administration de naloxone par un autre professionnel autorisé à administrer la naloxone et compétent pour le faire. Les Normes d’exercice stipulent que les membres de l’Ordre “aident les clients éventuels à obtenir d’autres services si eux-mêmes, pour des raisons valables, ne peuvent pas fournir l’aide professionnelle demandée ou ne sont pas disposés à le faire”.[12]
Le dilemme auquel les membres sont confrontés en cas de conflit entre leur milieu de travail et les normes d’exercice de l’Ordre est abordé plus en détail dans les notes sur la pratique précédentes, Mais “on” m’a dit de…! Assumez pleinement vos responsabilités professionnelles.
Un autre élément important à prendre en compte dans les deux scénarios est la compétence. Un processus de délégation officiel répond aux exigences législatives et professionnelles et fournit une orientation (par le biais de mécanismes tels qu’une évaluation de la préparation à exécuter l’acte en question) sur la façon dont les membres peuvent développer et maintenir leurs compétences de façon continue. Dans le premier scénario, la membre a une délégation officielle, qui décrit comment elle peut acquérir et maintenir la compétence nécessaire pour administrer la naloxone.
Dans le deuxième scénario, il n’y a pas de délégation en place. Le membre a le sentiment que la formation qu’il a reçue sur l’utilisation d’une trousse Narcan n’était pas adéquate, et aucun plan n’est prévu pour lui permettre de développer sa compétence à administrer de la naloxone. Les normes d’exercice stipulent que « les membres de l’Ordre s’engagent à poursuivre leur perfectionnement professionnel et à maintenir leur compétence dans l’exercice de leur profession »[13] – une norme particulièrement importante lorsque les membres accomplissent un acte autorisé qui n’est généralement pas jugé approprié pour les membres de l’Ordre.
Les normes d’exercice stipulent aussi que « les membres de l’Ordre sont conscients de l’étendue et des paramètres de leur compétence et du champ d’application de leur profession et limitent leur exercice en conséquence. Lorsque les besoins d’un client tombent en dehors du domaine habituel d’exercice du membre de l’Ordre, le membre informe le client qu’il peut demander que son cas soit confié à un autre professionnel. »[14] Les membres doivent toujours déterminer s’ils sont compétents pour fournir une intervention ou un traitement particulier. Ils peuvent parfois avoir l’impression de ne pas être suffisamment préparés ou de ne pas avoir toute la compétence nécessaire, possiblement parce que la formation qu’ils ont reçue était inadéquate. Quel que soit le niveau de formation qu’ils reçoivent, les membres peuvent avoir le sentiment qu’ils ne seront jamais suffisamment qualifiés ou préparés pour effectuer une intervention particulière. Dans ces cas, les membres doivent utiliser leur jugement professionnel pour déterminer s’ils sont ou non le professionnel approprié pour fournir le service.
Dans le deuxième scénario décrit ci-dessus, le membre ne s’estimait pas suffisamment préparé pour administrer la naloxone. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, le membre doit en informer son superviseur et prendre d’autres dispositions pour s’assurer que les besoins des clients sont satisfaits.
Administration de naloxone en situation d’urgence
Jusqu’à présent, cette note de pratique s’est concentrée sur les circonstances dans lesquelles il était prévu que l’administration de naloxone ferait partie du rôle du membre dans le cadre de l’exercice de sa profession. Comme mentionné précédemment, la LPSR prévoit des exceptions qui permettent d’exécuter des actes autorisés en l’absence de pouvoirs en vertu d’une loi sur une profession de la santé ou d’une délégation; ces situations comprennent l’administration de premiers soins ou d’une assistance temporaire en situation d’urgence. Par exemple, un membre peut se trouver dans une situation où il intervient auprès d’un client ou d’une autre personne qui semble avoir une surdose d’opioïdes, mais où l’administration de naloxone ne fait pas partie du rôle du membre dans cette pratique.
Considérons le scénario suivant :
Scénario 3
Une membre qui travaille auprès de mères en période postnatale dans un centre de santé communautaire a décidé de son propre chef d’obtenir une trousse de Narcan auprès de la Santé publique. La membre a reçu une formation par l’entremise de Santé publique sur l’administration du médicament et a décidé que ce serait une bonne idée de conserver la trousse de Narcan à portée de main. La membre n’était ni tenue ni censée administrer de la naloxone que ce soit par son contrat de travail ou du fait de son rôle au centre de santé communautaire. Dans le cadre de son travail, alors qu’elle était dans la communauté, la membre s’est trouvée en présence d’une femme qui présentait des signes de surdose d’opioïdes. Le membre a administré la naloxone à cette femme et appelé une ambulance.
Dans ce scénario, la membre a administré la naloxone parce qu’elle avait reçu la formation adéquate et fournissait des premiers soins et une assistance temporaire en situation d’urgence, comme le permet la LPSR. Même si, dans le scénario 3, l’administration de naloxone ne fait pas normalement partie de son rôle, la membre aurait tout intérêt à maintenir ses compétences sur l’utilisation d’une trousse de Narcan avant d’administrer de la naloxone.[15]
Conclusion
En raison de la crise des opioïdes, dans le cadre de l’exercice de leur profession, les membres peuvent de plus en plus se trouver dans des situations où on s’attend à ce qu’ils administrent de la naloxone par injection ou par voie nasale. La complexité des problèmes liés à l’administration de naloxone souligne à quel point il est important que les membres se tiennent au courant des enjeux, des politiques et de la législation qui ont un impact sur leur travail, afin d’être en mesure d’exercer leur profession de manière professionnelle, éthique et compétente.