Avertissement : L’article qui suit renferme des informations sur les pensionnats autochtones, la violence infligée aux enfants, les traumatismes intergénérationnels, le racisme systémique et structural et l’oppression, et les répercussions que le colonialisme continue d’avoir. Nous encourageons les lecteurs à obtenir de l’aide s’ils en ont besoin.
L’an dernier, Rita May Fenton est tombée sur un de ses journaux personnels de 2012 dans lequel elle consignait ses rêves. Elle rêvait de vivre dans une grande maison appelée « la Place de guérison », où bien des gens viendraient en visite.
« J’ai toujours voulu avoir un tipi dans ma cour et accueillir des gens à la recherche de guérison », raconte-t-elle.
Soutenue par sa communauté, elle a décidé de réaliser son rêve. Des collectes de fonds et des dons ont permis de recueillir assez d’argent pour acheter le tipi destiné à sa cour sur le territoire Aniimki Wajiw (de la Première Nation de Fort William). Pendant l’érection du tipi, trois aigles ont plané plus haut et le tipi terminé, deux autres aigles se sont joints à eux.
« C’était incroyablement beau de voir les aigles tournoyer au-dessus dans le ciel. C’était signe qu’il s’agissait d’un projet spirituel et que le Créateur bénissait cet Endroit », se souvient Rita, dont le nom d’esprit anishinaabe, Migisi Ikwe, signifie « femme aigle ».
Quelques mois plus tard, Rita organisait l’inauguration de la Place de guérison dans sa cour. Toutes les personnes qui voulaient donner un coup de main étaient les bienvenues. De nombreux dignitaires étaient présents à la cérémonie, dont Alvin Fiddler, ancien grand chef de l’Assemblée des Premières Nations, et Sol Mamakwa, député provincial de la circonscription de Kiwetinoog, ainsi que des représentants des médias.
La Place de guérison, c’est plus qu’une réalisation personnelle de Rita. L’endroit rappelle tout le chemin qu’elle a parcouru pour en arriver là, après être passée des affres de l’accoutumance jusqu’à la guérison et la redécouverte d’une culture dont on l’avait dérobée.
Externat autochtone de Mission Bay
Rita a grandi sans connaître grand-chose de sa culture et de son histoire anishinaabe. Elle est allée à l’externat autochtone de Mission Bay, une école de jour exploitée par l’Église catholique qui faisait partie d’un système visant activement à éradiquer l’identité autochtone, y compris la langue et la culture. Rita avait beau être catholique à l’époque, elle ne s’est jamais sentie acceptée par la société colonisatrice canadienne.
« À l’école secondaire, les jeunes blancs me traitaient de « squaw » ou de « sauvage », raconte-t-elle.
L’expérience a laissé un trou dans son âme. À l’âge de 17 ans, enceinte, elle a cessé d’aller à l’école. Elle avait également une accoutumance à l’alcool et s’est retrouvée dans un cercle vicieux de violence.
Le système des pensionnats autochtones représente un chapitre honteux de l’histoire du Canada. Les enfants autochtones étaient arrachés de force à leur famille et leur culture. Dans les écoles où ils étaient envoyés régnaient la violence physique et sexuelle, la négligence et même la mort, comme nous l’avons vu ces dernières années avec la découverte de tombes et de sépultures partout au pays. Les pensionnats et les externats autochtones ont été créés dans le but d’assimiler les peuples autochtones à la société coloniale, ou de les « civiliser ».
« Pour pouvoir éduquer les enfants (autochtones) correctement, nous devons les séparer de leurs familles », déclarait de façon choquante Sir Hector Langevin, un des Pères de la Confédération, au Parlement en 1883. « Certains peuvent penser qu’il s’agit d’une mesure radicale, mais nous n’avons pas d’autre choix si nous voulons les civiliser. »
Les séquelles du système des pensionnats autochtones et le racisme systémique qui perdure continuent d’avoir des effets dévastateurs sur les survivants et leurs descendants sous forme de traumatismes intergénérationnels. Les peuples autochtones, plus que les populations non autochtones, ont tendance à vivre dans la pauvreté, à avoir une moins bonne santé, à faire de la prison et à connaître la violence. Les taux de suicide, par exemple, sont trois fois plus élevés dans les communautés des Premières Nations que dans la population canadienne en général. Et ce n’est là qu’une des nombreuses statistiques troublantes.
Sur la voie de la guérison et de la redécouverte
Rita a sombré aux plus bas fonds dans la trentaine. Sa vie a ensuite pris un tournant positif. Elle s’est inscrite à des cours axés sur les Autochtones au Collège Confederation, où elle a commencé à apprendre l’histoire du peuple anishinaabe. En dansant dans son premier pow-wow, ses larmes ont commencé à couler, car c’était la première fois qu’elle ressentait le lien avec son esprit. Elle a assumé son indigénéité, son appartenance et la connaissance de qui elle était à l’intérieur d’elle. Elle était fière Anishinaabe et libérée de la honte qui avait été si profondément enracinée en elle depuis l’enfance.
« C’était un programme extraordinaire, dit-elle. J’ai pu ressentir mes émotions, y compris la colère, et j’ai commencé à décoloniser mon esprit. J’ai appris plus de choses sur ma culture, sur la purification par la fumée pour écarter l’énergie négative, j’ai fait des mocassins et des jupes, j’ai rencontré des sages et j’ai participé à un cercle de tambour pour femmes tous les mercredis soirs. »
Les expériences positives qu’elle a vécues tout au long de sa vie ont aidé Rita à surmonter son accoutumance et lui ont donné une raison d’être. Elle voulait aider les membres de sa communauté, dont plusieurs souffrent des répercussions du système des pensionnats autochtones. Elle est devenue travailleuse sociale inscrite. Elle a obtenu son baccalauréat en travail social à l’Université Lakehead en 2001. Puis en 2017, à l’âge de 69 ans, elle a obtenu sa maîtrise en travail social.
« SI je n’avais pas reçu d’éducation, si je n’avais pas appris mon histoire, si je n’avais pas suivi de counseling et si je n’avais pas fait face à ces expériences horrifiantes, je n’aurais jamais pu faire le travail que j’ai fait au fil des années, explique-t-elle. L’expérience que j’ai accumulée dans ma vie me permet maintenant d’aider tous les gens avec qui j’entre en contact. »
Avec la retraite qui approche, Rita continue de servir sa communauté et de militer en faveur de la justice sociale. Récemment, elle est allée en Alberta comme représentante des survivants des pensionnats autochtones lors de la visite du pape François et elle continue d’apporter son soutien aux survivants en siégeant à divers comités consultatifs de sages. Bien consciente du fait qu’il y a encore énormément de travail de vérité et de réconciliation à faire, Rita a confiance en la force de sa communauté.
« Nos ancêtres et les générations qui ont suivi ont vu nos droits, notre identité, notre langue et notre culture leur être enlevés. Ils avaient beaucoup de résilience et de force, et sans cette résilience et cette force, nous ne serions plus là. Le magnifique esprit qui habite chacun de nous, ce feu qui anime chacun de nous, est toujours là. Rien ni personne ne peut nous enlever ça. Nous sommes résilients et forts. Et nous sommes encore là. »
Remarque : La ligne nationale d’assistance sur les pensionnats autochtones offre du soutien aux anciens élèves des pensionnats autochtones et aux personnes affectées. Pour obtenir des services de référence en cas de crise émotionnelle et d’autres services de soutien, composez le 1-866-925-4419, 24 heures sur 24.